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Walter Benjamin, écrivain et philosophe allemand (Berlin, 1892 - Portbou, 1940).
Dans son Enfance berlinoise vers 1900, Benjamin nous raconte son rapport personnel à la ville; on voit se mélanger des images et des perceptions qui sont à la fois celles de l'enfant et de l'homme adulte.
Mais que sont devenus, aujourd'hui, Blumes Hof, la Nettelbeckstrasse, la gare de Stettin? Détruite, reconstruite, déchirée, recomposée, la ville de Berlin porte encore en elle les blessures que lui ont infligées une histoire mouvementée.
"Le superficiel, l'exotique ou le pittoresque n'impressionnent que l'étranger." L'autochtone qui veut dresser le portrait d'une ville répond à la "motivation de celui qui voyage dans le passé plutôt que de voyager au loin. Le livre que l'autochtone consacre à sa ville s'apparentera toujours à des mémoires, car ce n'est pas pour rien que l'auteur y aura passé son enfance."
"Ne pas trouver son chemin dans une ville, cela ne signifie pas grand-chose. Mais s'égarer dans une ville comme on s'égare en forêt, cela nécessité un apprentissage."
Enfant, Benjamin aime se perdre dans la ville comme dans un labyrinthe qu’il ne cesse de découvrir plus avant. Adulte, il devra réapprendre à se perdre en flânant, comme un passant solitaire dans la foule, avec le regard de l’enfant qu’il n’est plus.
Adulte, Benjamin ne sentira plus chez lui nulle part, allant de chambres d'hôtel en petits appartements qu'il n'occupe que quelques mois. Il voyagera beaucoup, peut-être moins pour aller vers une destination précise que pour fuir la situation ou l'endroit dans lesquels il se trouve.
Il mènera une vie errante, inconstante, d'abord par choix, puis sous la contrainte de difficultés économiques et de la montée du nazisme.
"Blumeshof – La rue devint pour moi l'Elysée, le royaume des ombres des grand-mères immortelle et néanmoins défuntes."
"Enfant, j'étais prisonnier des quartiers de l'ancien et du nouvel Ouest (...) une sorte de ghetto que mon clan considérait comme son fief. Je restais enfermé dans ces quartiers de nantis et je n'en connaissais pas d'autre. Les enfant riches de mon âge ne connaissaient d'autres pauvres que les mendiants."
"Jamais, au retour des vacances, n'avais-je le sentiment de rentrer chez moi. (...) Plus le train roulait lentement, plus vite s'évanouissait l'espoir d'échapper à l'appartement parental à présent tout proche. Ces minutes supplémentaires avant que tout le monde descende sont, aujourd'hui encore, inscrites dans mon regard."
"L'architecte qui a construit l'école Empereur Frédéric a dû vouloir imiter le gothique de brique de la Marche de Brandebourg: l'école est en brique rouge et privilégie des motifs comme on en voit à Stendal ou Tangermünde. Mais le résultat est un bâtiment à la fois trop étroit et trop élancé."
"Une de mes cartes postales montrait une place berlinoise. Les maisons qui l'entouraient étaient d'un bleu tendre et se détachaient sur le bleu plus foncé d'un ciel de pleine lune. La lune et les fenêtres des immeubles étaient gravées dans l'épaisseur de la couche de carton bleu. En tenant la carte devant une lampe, on pouvait voir une lueur jaune percer les nuages et illuminer les rangées de fenêtres."
"Frédéric-Guillaume et la reine Louise, du haut de leurs socles ronds, émergeaient des parterres, comme envoûtés par les courbes magiques qu'un cours d'eau traçait dans le sable à leurs pieds. Mais davantage qu'aux souverains, je m'intéressais aux reliefs de leurs socles: ils étaient plus proches de moi dans l'espace, même si j'avais du mal à comprendre l'histoire qu'ils racontaient."
"Depuis longtemps – depuis des années à vrai dire – je caresse l'idée de représenter graphiquement, sur une carte, l'espace de vie, le bios. D'abord, je pensais à un plan Pharus; aujourd'hui, je serais plutôt tenté de recourir à une carte d'état-major, s'il en existait pour l'intérieur des villes."